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5 Février – LA BATAILLE DE HONEY HILL

 

 

Le lendemain matin, je me suis réveillé avec un mal de tête carabiné. Contrairement à ce qui se passe souvent dans les histoires, je ne me suis pas dit que les événements de la nuit n’avaient pas eu lieu. Je n’ai pas pensé que l’apparition puis la disparition de Macon Ravenwood dans ma chambre n’avait été qu’un rêve. Après l’accident de ma mère, des mois durant, je m’étais réveillé en croyant avoir fait un cauchemar. On ne m’y reprendrait plus.

Désormais, je savais que, si tout donnait l’impression d’avoir changé, c’est que tout avait changé. Si les choses paraissaient de plus en plus bizarres, c’est qu’elles étaient de plus en plus bizarres. S’il semblait que le temps nous était compté, à Lena et à moi, c’est qu’il nous était en effet compté.

 

Plus que six jours. La situation se présentait mal. Il n’y avait rien d’autre à dire. Aussi, bien sûr, nous ne l’avons pas dit. Au lycée, nous nous comportions comme d’habitude. Nous nous tenions par la main dans les couloirs. Nous nous embrassions derrière les casiers du fond jusqu’à ce que nos lèvres soient douloureuses, et que j’ai l’impression d’être électrocuté. Nous restions dans notre bulle, profitant de ce que nous prétendions être des existences ordinaires – enfin, du peu qu’ils nous en restent. Nous parlions toute la journée, pendant chaque minute de chaque cours, même ceux où nous étions séparés.

Pendant que j’étais censé créer un bol en poterie, Lena m’a raconté la Barbade, où l’eau et le ciel se rejoignent en une ligne bleue au point qu’on ne distingue plus la mer de la nue. Elle m’a parlé de sa Bonne-maman qui l’autorisait à boire de la limonade avec une bande de réglisse rouge en guise de paille pendant que nous rédigions nos dissertations sur L’Étrange cas de Dr Jekyll et de Mr Hyde en cours de littérature, et que Savannah Snow faisait des bulles de chewing-gum. Elle a évoqué Macon qui, en dépit de tout, n’avait manqué aucun de ses anniversaires où qu’elle soit alors, et ce depuis qu’elle était en âge de se les rappeler.

Cette nuit-là, après avoir consacré des heures à étudier le Livre des lunes, nous avons contemplé le lever du soleil – elle à Ravenwood, moi à la maison.

Ethan ?

Je suis .

Jai peur.

Je sais. Tu devrais essayer de dormir, L.

Je ne veux pas perdre mon temps à dormir.

Moi non plus.

Nous étions tous deux conscients, cependant, que ce n’était pas ça. C’était plutôt que ni elle ni moi n’avions envie de rêver.

— « LA NUIT DE L’APPEL SERA NUIT DE PLUS GRANT FAIBLESSE, QUANT LES TÉNÈBRES DE L’INTÉRIEUR REJOINDRONT LES TÉNÈBRES DE L’EXTÉRIEUR, QUANT L’ESTRE DE POUVOIR S’OUVRIRA AUX GRANS TÉNÈBRES, SANS DÉFENSE, SANS SCEAUX NI SORTILÈGES DE PROTECTION OU D’IMMUNITÉ. LA MORT, À L’HEURE DE L’APPEL, SERA LA PLUS FINALE ET LA PLUS ÉTERNELLE… » Je refuse d’en lire plus, a décrété Lena en refermant sèchement le Livre.

— Sans blague ? Pas étonnant que ton oncle soit aussi inquiet.

— Comme s’il ne suffisait pas que je risque de me transformer en espèce de démon maléfique, je pourrais également être condamnée à une mort éternelle. Ajoute ça à la liste, juste en dessous de la malédiction imminente.

— OK. Mort. Malédiction. Malin.

Nous étions de nouveau dans le jardin de Greenbrier. Lena m’a tendu le Livre avant de s’allonger par terre, les yeux fixés sur le ciel. J’ai espéré qu’elle s’amusait avec les nuages au lieu de penser aux maigres résultats que nous avions obtenus durant nos après-midi à parcourir l’ouvrage. Je ne lui ai pas demandé de m’aider, tandis que je me remettais à le feuilleter, protégé par les vieux gants de jardin d’Amma, trop petits pour mes paluches.

Le Livre des lunes comptait des milliers de pages, dont certaines contenaient plus d’un sortilège. La façon dont il s’organisait n’avait ni rime ni raison – pour moi en tout cas. La table des matières s’était révélée être une espèce de canular qui ne correspondait que vaguement à ce qu’on trouvait vraiment dans l’ouvrage. Je m’entêtais cependant à l’étudier, en priant pour que le hasard me fasse tomber sur quelque chose d’utile. Malheureusement, la plupart des textes étaient du charabia, et je toisais des mots qui m’étaient incompréhensibles.

 

I ddarganfod yr hyn sydd ar goll

Datodwch y cwlwm, troellwch a throwch ef

Bwriwch y rhwymyn hwn

Fel y caf ganfod

Yr hyn rwy’n dyheu amdano

Yr hyn rwy’n ei geisio.

 

Soudain, un terme a attiré mon attention. Il figurait dans une citation latine que mes parents avaient accrochée à un mur du bureau. PETE ET INVENIES. Cherche, tu trouveras, INVENIES. Tu trouveras.

 

Ut invenias quod abest

Expedi nodum, torque et convolve

Elice hoc vinculum

Ut inveniam

Quod desidero

Quod peto.

 

Consultant fiévreusement le dictionnaire de ma mère, j’ai griffonné une traduction rapide. Les mots de l’incantation m’ont regardé d’un sale œil.

 

Pour trouver ce qui manque

Dévide le fil, tortille et tourne

Lance ce sort

Pour que je trouve

Ce à quoi j’aspire

Ce que je quête.

 

— J’ai une piste !

Se redressant, Lena s’est penchée par-dessus mon épaule.

— Tu es sûr ? a-t-elle demandé, peu convaincue.

Je lui ai montré mes pattes de mouche.

— J’ai traduit ce passage. On dirait qu’il sert à trouver quelque chose.

Elle a lu attentivement ce que j’avais écrit, et ses yeux se sont écarquillés.

— Oui, c’est bien un sortilège de localisation.

— Donc, on doit pouvoir l’utiliser pour obtenir notre réponse sur la façon de conjurer le sort.

Lena a pris le Livre sur ses genoux et a contemplé la page. Elle a désigné le sortilège au-dessus de celui que j’avais traduit en latin.

— C’est le même en gaélique, je crois.

— Peut-il nous aider ?

— Aucune idée, a-t-elle marmonné, soudain moins enthousiaste. Nous ne savons même pas ce que nous cherchons. Et puis, les incantations ne sont pas aussi aisées qu’elles le paraissent. Je n’en ai encore jamais fait. Il est possible que ça tourne mal.

Elle rigolait, ou quoi ?

— Mal tourner ? me suis-je récrié. Est-ce pire que devenir une Enchanteresse des Ténèbres le jour de son seizième anniversaire ?

Je lui ai arraché le Livre, brûlant au passage les marguerites qui ornaient le bout des gants.

— À quoi bon avoir profané une tombe pour dégoter ce truc et avoir perdu des semaines à essayer de le comprendre si nous n’essayons pas ?

J’ai brandi l’ouvrage jusqu’à ce que l’un des gants se mette à fumer.

— Rends-moi ça, a cédé Lena en secouant la tête avant de prendre une profonde aspiration. D’accord, je veux bien tenter le coup, mais je ne sais pas du tout ce qui va se produire. D’habitude, je ne procède pas comme ça.

— Pardon ?

— Je te parle de mes dons. De mes pouvoirs d’Élue. Ils sont censés être innés. La plupart du temps, je n’ai aucune notion de comment ils fonctionnent.

— OK. Bon, là, tu vas faire exprès, et moi je t’aide. De quoi as-tu besoin ? Je dessine un cercle par terre ? J’allume des bougies ?

Elle a levé les yeux au ciel.

— Et si tu t’asseyais plutôt là-bas ? Au cas où ?

Je m’étais attendu à un peu plus de préparation. Mais je n’étais qu’un innocent Mortel. Si je ne me suis pas éloigné autant que le souhaitait Lena, j’ai reculé de quelques pas. Le Livre dans une main, un exploit en soi, vu qu’il était très lourd, elle a respiré un bon coup.

— « Dévide le fil, tortille et tourne », a-t-elle lu lentement. « Lance ce sort / Pour que je trouve / Ce à quoi j’aspire… »

Elle a redressé la tête a prononcé la dernière ligne d’une voix forte et claire.

— « Ce que je quête. »

D’abord, il ne s’est rien passé. Les nuages continuaient de défiler dans le ciel, l’air était toujours aussi froid. Raté. Lena a haussé les épaules. Elle pensait comme moi. Brusquement, un son a retenti, qui évoquait un courant d’air dans un tunnel. L’arbre planté derrière moi a pris feu. Il s’est littéralement enflammé à partir des racines. En rugissant, l’incendie a rampé le long du tronc avant de gagner toutes les branches. Je n’avais jamais vu quelque chose brûler avec autant de rapidité.

Une épaisse fumée avait également commencé à se dégager. Toussant, j’ai tiré Lena vers moi.

— Ça va ?

Elle aussi toussait. J’ai écarté ses boucles noires de son visage.

— Hum, ça n’a pas fonctionné, apparemment. Sauf si tu essayais de faire griller des marshmallows géants.

— Je t’avais prévenue que ça risquait de mal tourner, a-t-elle répondu avec un pauvre sourire.

— Pour le coup, c’est le moins que l’on puisse dire.

Nous avons contemplé le cyprès qui se consumait.

Plus que cinq jours.

 

Plus que quatre. De gros nuages menaçants ont envahi le ciel, et Lena est restée chez elle en prétextant une maladie. La Santee a débordé, les routes ont été inondées au nord de la ville. Les journalistes locaux ont invoqué le réchauffement climatique, mais je n’étais pas dupe. En cours d’algèbre, Lena et moi nous sommes disputés, au détriment des réponses que je portais sur ma feuille d’examen.

Oublie le Livre, Ethan. J’en ai marre. Il ne nous est d’aucun secours.

L’oublier ? Impossible. Il représente notre unique chance. Tu as entendu ton oncle. C’est l’ouvrage le plus puissant du monde des Enchanteurs.

C’est aussi celui qui a permis à la malédiction de s’abattre sur ma famille.

N’abandonne pas. La réponse s’y trouve forcément.

Je perdais le contact, elle refusait de m’écouter. Quant à moi, j’étais sur le point de foirer mon troisième test du trimestre. Super.

À propos, tu saurais simplifier 7 x-2(4 x -6) ?

Elle en était capable. Elle était déjà passée à la trigonométrie.

Quel rapport ?

Aucun. Sauf que je suis en train de planter mon exam.

Elle a poussé un soupir.

Une copine Enchanteresse, ça avait ses avantages.

 

Plus que trois jours. Des éboulements se sont produits, et le champ qui dominait le lycée a ravagé le gymnase. L’équipe de cheerleaders allait devoir cesser ses activités pendant un bon moment, et il allait falloir que le conseil de discipline se trouve une autre salle de réunion où organiser ses procès en sorcellerie. Lena n’était pas revenue à Jackson, mais elle était dans ma tête du matin au soir. Sa voix était de plus en plus ténue. J’ai fini par ne quasiment plus l’entendre dans le vacarme quotidien du bahut.

J’étais assis à la cantine, seul. Je n’arrivais pas à manger. Pour la première fois depuis ma rencontre avec Lena, j’ai observé mes pairs avec une bouffée de… quelque chose. Quoi exactement ? De jalousie ? Leurs vies étaient tellement simples. Leurs problèmes de Mortels étaient ridicules. Comme les miens autrefois. J’ai remarqué qu’Emily me reluquait. Savannah s’est jetée sur ses genoux, provoquant le rictus habituel de son amie. Non, ce n’était pas de la jalousie. Je n’étais pas prêt à échanger Lena pour ça.

Revenir à une existence aussi étriquée était inconcevable.

 

Plus que deux jours. Lena ne me parlait plus. Une partie du toit des FRA s’est envolé sous l’effet de bourrasques de vent qui confinaient aux tornades. Les états civils que Mmes Lincoln et Asher avaient consacré des années à rassembler, les arbres généalogiques remontant au Mayflower et à la Révolution ont été détruits. Les patriotes du comté de Gatlin allaient être obligés de recommencer à zéro pour prouver que leur lignée valait mieux que la nôtre.

Sur le chemin du lycée, je me suis rendu à Ravenwood. J’ai frappé à la porte comme un malade. Lena a refusé de sortir de la demeure. Quand j’ai enfin réussi à la persuader de m’ouvrir, j’ai compris pourquoi.

La maison s’était une fois de plus modifiée et avait des allures de prison de haute sécurité. Les fenêtres étaient désormais équipées de barreaux, et les murs étaient en béton lisse, sauf pour ceux du hall, qui étaient orange et matelassés. Lena arborait une tenue de prisonnier orange estampillée des chiffres 1102, sa date d’anniversaire, et ses mains étaient couvertes d’encre. Elle était plutôt pas mal, comme ça, avec ses cheveux décoiffés qui se répandaient partout autour d’elle. Elle arrivait à rendre élégant le survêtement traditionnel des taulards.

— Que se passe-t-il, L ?

Elle s’est retournée, suivant mon regard.

— Oh, ça ? Rien. C’est une blague.

— J’ignorais que Macon était du genre à plaisanter.

— Il n’y est pour rien, a-t-elle répondu en tirant sur un fil de sa manche. C’est moi.

— Depuis quand contrôles-tu Ravenwood ?

Elle a haussé les épaules.

— Je me suis réveillée hier matin, la décoration avait changé. Ça devait trotter dans mon cerveau, et la maison m’a écoutée, j’imagine.

— Sortons d’ici. La prison ne fait que te déprimer davantage.

— Je risque d’être Ridley d’ici deux jours. Une perspective plutôt déprimante, non ?

Secouant la tête avec tristesse, elle s’est assise au bord de la véranda. Je l’y ai rejointe. Au lieu de me regarder, elle a fixé les baskets blanches qui parachevaient son déguisement. Je me suis demandé comment elle était au courant de ce détail.

— Les lacets, ai-je marmonné. Tu t’es trompée.

— Quoi ?

— Ils retirent les lacets aux chaussures, dans les vrais pénitenciers.

— Il faut que tu laisses tomber, Ethan. C’est fini. Je ne suis pas en mesure d’empêcher la venue de mon anniversaire ou la réalisation de la malédiction. Je ne peux plus faire semblant d’être une fille ordinaire. Je ne suis ni Savannah Snow ni Emily Asher. Je suis une Enchanteresse.

Ramassant une poignée de graviers au pied du perron, je me suis mis à les jeter aussi loin que possible.

Je ne te dirai pas au revoir, L. Je ne peux pas.

Me prenant un caillou, elle l’a lancé. Quand ses doigts ont effleuré ma peau, j’ai senti la minuscule bouffée de chaleur. J’ai essayé de la mémoriser.

Tu n’en auras pas l’occasion. Je serai partie, et je ne me souviendrai même pas que tu as compté pour moi.

J’étais têtu. Pas question d’écouter ces âneries. Cette fois, mon caillou a heurté un arbre.

— Rien ne changera ce que nous éprouvons l’un pour l’autre. Je suis au moins certain de ça.

— Si ça se trouve, Ethan, je ne sentirai plus rien.

— Des clous.

J’ai balancé le reste des graviers dans le jardin mal entretenu. J’ignore où ils ont atterri, ils n’ont émis aucun bruit. J’ai quand même fixé l’endroit longuement, en ravalant la boule qui m’obstruait la gorge. Lena a tendu une main vers moi, a hésité, puis l’a posée sur la mienne avec une légèreté de plume.

— Ne m’en veux pas. Je n’ai rien demandé de tout cela.

— Peut-être pas, me suis-je emporté alors. Mais si demain était notre dernier jour ? Je pourrais le passer avec toi, au lieu de quoi, tu t’enfermes ici à broyer du noir, comme si tu avais déjà été Appelée.

— Tu ne comprends pas, a-t-elle rétorqué en se levant.

Derrière moi, la porte a claqué quand elle a regagné la maison – sa cellule, peu importe.

N’ayant jamais eu de petite amie, je n’étais pas préparé à gérer cela – je ne savais même pas comment l’appeler. D’autant que j’avais affaire à une Enchanteresse. N’ayant aucune idée de la réaction à avoir, je me suis levé à mon tour, j’ai renoncé, je suis allé au lycée. En retard, comme d’habitude.

 

Plus que vingt-quatre heures. Une dépression s’est installée au-dessus de Gatlin. Difficile de déterminer s’il allait neiger ou grêler, mais le ciel avait un air bizarre. Tout était envisageable, aujourd’hui. En cours d’histoire, alors que je jetais un coup d’œil dehors, j’ai vu une sorte de procession funéraire accompagnant un enterrement qui n’aurait pas encore eu lieu. Le corbillard de Macon Ravenwood avançait, suivi par sept Lincoln noires. Le convoi défilait devant les fenêtres de Jackson, sur le chemin de Ravenwood Manor. Personne n’écoutait M. Lee, qui pérorait sur la reconstitution de la bataille de Honey Hill – sans être la plus célèbre des tueries de la guerre de Sécession, c’était celle dont les habitants du comté de Gatlin étaient les plus fiers.

En 1864, Sherman a ordonné au général en chef John Hatch, des forces de l’Union, et à ses troupes de couper la ligne de chemin de fer reliant Charleston à Savannah afin d’empêcher les soldats confédérés de gêner sa « marche vers la mer ». Mais, suite à des erreurs de calcul dans l’établissement de leur itinéraire, les soldats de l’Union ont été retardés.

Un sourire satisfait sur les lèvres, le père Lee a écrit « ERREURS DE CALCUL » sur le tableau. D’accord, les Nordistes étaient idiots. C’était acquis. Tel était le point que devait prouver la bataille de Honey Hill, que devait prouver la guerre inter-États telle qu’on nous l’enseignait ici depuis l’école maternelle. En négligeant, bien sûr, que c’était l’Union qui avait remporté la victoire. À Gatlin, tout le monde évoquait d’ailleurs celle-ci comme une élégante concession de la part du Sud, réputé pour son savoir-vivre. Historiquement parlant, le Sud s’était montré prudent. D’après M. Lee du moins.

Ce jour-là, cependant, aucun élève ne s’intéressait au tableau, préférant le spectacle de la route et des voitures qui étaient en train de passer derrière le terrain de sport. Depuis qu’il était sorti du placard, pour ainsi dire, Macon semblait adorer se mettre en scène. Pour un type qui n’émergeait de sa chambre qu’à la nuit tombée, il réussissait à s’attirer beaucoup d’attention.

On m’a donné un coup de pied dans le tibia. Link était courbé sur son bureau, de façon à ce que le prof ne voie pas son visage.

— Ça alors ! Qui se trouve dans ces bagnoles, à ton avis ?

— Monsieur Lincoln ? Ayez la bonté de nous décrire ce qui s’est passé ensuite. D’autant que votre père sera à la tête de la cavalerie demain.

Les bras croisés, Lee nous toisait. Link a fait semblant de tousser. Son père, un fantôme d’homme persécuté, s’était en effet vu échoir l’honneur de commander les troupes à cheval lors de la reconstitution depuis que Big Earl Eaton était mort, l’année précédente. C’était là l’unique façon qu’un figurant avait de monter en grade – il fallait qu’un compagnon trépasse. Cette promotion aurait été une affaire d’État chez les Snow. Link, lui, se fichait complètement de ce tableau vivant historique.

— Voyons un peu, monsieur Lee. Ça y est, j’y suis. Nous… euh… Nous avons gagné cette bataille et perdu la guerre. Ou était-ce le contraire ? Dans le coin, c’est parfois dur de s’y retrouver, vous comprenez ?

L’autre a ignoré la réponse de Link. Il accrochait sûrement le drapeau confédéré devant sa maison – enfin, son mobile home double – du premier janvier au trente et un décembre.

— Monsieur Lincoln, le temps que Hatch et les Fédéraux atteignent Honey Hill, le colonel Colcock[18] (la classe a ricané, cependant que le prof nous fusillait du regard), pas la peine de rire comme des crétins, c’était son vrai nom. Bref, le colonel, sa brigade de soldats confédérés et ses troupes de la milice avaient constitué une batterie infranchissable de sept canons qui barrait la route.

Combien de fois encore allions-nous être obligés d’écouter cette histoire des sept canons ? C’était à croire qu’il s’agissait du miracle de la multiplication des pains et des poissons. Se tournant vers moi, Link a désigné du menton la fenêtre.

— Alors ?

— Je crois que ce sont les membres de la famille de Lena. Elle m’a dit les attendre pour son anniversaire.

— Ah ouais, Ridley m’en a parlé.

— Vous continuez de vous voir ? ai-je chuchoté, presque effrayé par ma question.

— Yes, mec. Hé, tu sais garder un secret ?

— Ne te l’ai-je pas prouvé à maintes reprises ?

Link a remonté la manche de son tee-shirt des Ramones, révélant un tatouage de ce qui avait l’air d’une version animée de Ridley. La totale – minijupe et mi-bas de l’élève d’une école catholique. Tout en espérant que la fascination exercée par la cousine de Lena sur mon meilleur copain avait quelque peu diminué d’intensité, je savais que je m’étais bercé d’illusions. Link ne se remettrait d’elle que lorsqu’elle en aurait fini avec lui, à condition qu’elle ne l’amène pas à se jeter d’une falaise avant. D’ailleurs, même si ça devait se terminer ainsi, je n’aurais pas parié qu’il s’en remettrait.

— Je l’ai fait faire pendant les vacances de Noël. Plutôt cool, non ? C’est Ridley qui l’a dessiné pour moi. Comme artiste, c’est une tueuse.

Une tueuse ? Je n’en doutais pas une seconde. Qu’aurais-je pu dire ? Qu’il arborait le tatouage version BD d’une Enchanteresse des Ténèbres laquelle, qui plus est, le tenait sous une espèce de charme amoureux tout en étant sa bonne amie ?

— Ta mère va flipper, quand elle verra ça.

— Pas question qu’elle le voie. Je porte des manches longues et j’ai instauré de nouvelles règles d’intimité à la maison. Maintenant, elle doit frapper avant d’entrer.

— Avant de débouler comme un Panzer et de n’en faire qu’à sa tête ?

— D’accord. N’empêche, elle frappe avant.

— Je te le souhaite. Pour ton bien.

— Passons. Ridley et moi, on a préparé une surprise à Lena. Ne va pas raconter à Rid que je te l’ai dit, sinon elle m’arrachera les yeux, mais on va organiser une méga-fête en son honneur. Dans le grand champ, derrière Ravenwood.

— J’espère que c’est une blague ?

— Surprise !

Il paraissait tout content de lui, comme si cette fiesta allait vraiment avoir lieu, comme si Lena comptait s’y rendre, comme si Macon l’y autoriserait.

— Tu penses à quoi, merde ? Lena détesterait ça. Elle et Ridley ne s’adressent même plus la parole.

— La faute de Lena, mon pote. Elle devrait se calmer. Après tout, elles sont cousines.

J’avais beau savoir qu’il était sous influence, qu’il n’était que le zombie de Ridley, il m’a mis en rogne.

— Tu délires, mon vieux. Un conseil, tiens-toi à l’écart.

Ouvrant un sachet de lanières de viande séchée, il a mordu dedans.

— Comme tu voudras. On essayait juste d’être sympa avec ta copine. Ce n’est pas comme si des tonnes de gens avaient envie de lui concocter une bringue.

— Raison de plus pour n’en organiser aucune. Personne ne viendrait.

Souriant jusqu’aux oreilles, il a fourré toute la viande dans sa bouche.

— Tout le monde sera là. Ils ont déjà accepté. C’est ce que m’a dit Rid.

Évidemment. Comme le joueur de flûte de Hamelin, elle était capable d’entraîner dans son sillage la population au complet de cette foutue ville au premier coup de langue sur sa sucette. Ce que Link n’avait pas l’air de capter.

— Moi et mon groupe, les Crucifix Vengeurs, on va se produire pour la toute première fois.

— Les quoi ?

— C’est mon nouveau groupe. Je l’ai lancé au fameux camp de prières dont je t’ai parlé.

Je ne tenais pas du tout à en apprendre plus sur ses activités pendant les vacances de Noël. Il était déjà bien beau qu’il nous soit revenu en un seul morceau. À cet instant, M. Lee a frappé le tableau avec emphase et y a dessiné un gros chiffre huit à la craie.

— Finalement, Hatch n’a pas réussi à ébranler les positions des Confédérés, et il s’est retiré. Ses pertes se montaient à quatre-vingt-neuf morts et six cent vingt neuf blessés. Les Confédérés avaient gagné la bataille, ne perdant que huit hommes. (Il a martelé fièrement le chiffre.) Voilà pourquoi, demain, vous tous participerez à un épisode d’Histoire vivante, la reconstitution de la bataille de Honey Hill.

Histoire vivante. C’est ainsi que les gens comme le père Lee nommaient les reconstitutions des événements de la guerre de Sécession. Le pire, c’est qu’ils étaient sérieux. Le moindre détail était authentique, des uniformes aux munitions en passant par les positions des soldats sur le terrain.

— Dis rien à Lena, a répété Link, béat. On veut qu’elle ait la surprise. Ce sera notre cadeau d’anniversaire à tous les deux.

Je l’ai contemplé en songeant à Lena, engoncée dans ses idées noires et son survêtement orange de prisonnière. Puis ont défilé des images du groupe de Link, à coup sûr atroce, d’une fête typique du lycée de Jackson, d’Emily Asher et de Savannah Snow, des Anges Gardiens (des Anges Déchus), de Ridley, de Ravenwood, sans parler de Honey Hill qui explosait dans le lointain. Tout cela sous l’œil désapprobateur de Macon, avec les autres dingues de la famille de Lena et sa mère qui tentait de la tuer. Sans oublier le chien qui permettait à Macon de voir le moindre de nos agissements.

La sonnerie a retenti. Surprise. Le mot ne suffisait pas à décrire ce que Lena ne manquerait pas de ressentir. Et c’était moi qui me retrouvais dans l’obligation de lui annoncer la nouvelle.

— N’oubliez pas de signer la feuille de présence, demain, nous a lancé Lee tandis que nous sortions de classe. Sinon, vous ne serez pas notés. Et rappelez-vous de rester dans la zone de sécurité délimitée par les cordes. Ce n’est pas parce que vous vous ferez tuer que je vous mettrai un A.

En cet instant, être descendu par une balle ne me semblait pas la pire chose qui puisse m’arriver.

 

Les reconstitutions d’événements historiques sont un phénomène étrange, et celle de la bataille de Honey Hill ne faisait pas exception à la règle. Sérieusement, qui avait envie d’enfiler ce qui ressemblait à des costumes de Halloween en laine dans lesquels une bonne suée était garantie ? Qui voulait courir dans tous les sens en tirant à l’aide d’armes anciennes si peu sûres qu’elles étaient réputées pour arracher les membres de ceux qui s’en servaient ? La façon dont, au demeurant, était mort Big Earl Eaton. Qui s’intéressait à recréer des combats s’étant déroulés presque cent cinquante ans auparavant, d’autant que le Sud avait été vaincu ? Qui donc ?

À Gatlin, comme dans la majorité du Sud, la réponse était : votre médecin, votre avocat, votre pasteur, le mec qui réparait votre voiture, celui qui distribuait votre courrier, très certainement votre père, tous vos oncles et cousins, votre prof d’histoire (surtout si vous aviez la malchance qu’il soit M. Lee), et plus que probable, le propriétaire de l’armurerie locale. La deuxième semaine de février, qu’il pleuve ou qu’il vente, Gatlin ne pensait qu’à ça, ne parlait et ne s’occupait que de ça.

Car Honey Hill était notre bataille. Si j’ignorais qui en avait décidé ainsi, j’étais à peu près certain que ça avait un lien avec les fameux sept canons. Les habitants se préparaient pendant des semaines. À présent que l’événement était proche, on lavait et on repassait les uniformes confédérés dans tout le comté, au point que des arômes de laine chauffée envahissaient l’air. Les fusils Whitworth étaient nettoyés, les épées fourbies, et la moitié des hommes de la ville avait consacré le week-end précédent à fabriquer des munitions maison chez Budford Radford, parce que l’odeur ne dérangeait pas l’épouse de ce dernier. Les veuves étaient chargées de laver des draps et de congeler des tartes pour les centaines de touristes descendus de la capitale afin d’assister à cet épisode d’Histoire vivante. Les membres des FRA avaient travaillé des jours durant pour mettre au point leur propre participation à la reconstitution – les visites guidées Héritage sudiste –, et leurs filles avaient cuit des gâteaux à servir après la balade.

Cela était particulièrement amusant, dans la mesure où les FRA, y compris Mme Lincoln, conduisaient ces promenades culturelles en habits d’époque. Elles se serraient dans des corsets et se noyaient sous des couches de jupons qui leur donnaient des allures de saucisses prêtes à exploser. Elles n’étaient pas les seules. Leurs filles, parmi lesquelles Savannah et Emily, la génération future des FRA, devaient crapahuter dans les demeures des plantations historiques vêtues comme des personnages de La Petite Maison dans la prairie. La tournée commençait toujours à l’état-major des FRA, puisque c’était le deuxième bâtiment le plus ancien de Gatlin. Le toit aurait-il été réparé à temps ? Je ne pouvais m’empêcher d’imaginer ces femmes se promenant autour de la Société Historique de Gatlin en montrant les motifs étoilés de couvertures matelassées, sans se douter qu’elles marchaient sur des centaines de parchemins et de documents magiques attendant les prochains jours fériés.

Cependant, les FRA n’étaient pas les seules à se prendre au jeu. La guerre inter-États avait beau être souvent qualifiée de « première guerre moderne », il suffisait d’arpenter Gatlin la semaine précédant la reconstitution pour constater qu’elle n’avait rien de moderne. La moindre relique dont la ville s’enorgueillissait était exposée, des chariots à chevaux aux Howitzer, dont n’importe quel élève de maternelle était capable de vous expliquer qu’il s’agissait de pièces d’artillerie à canon court montées sur roues. Les Sœurs sont allées jusqu’à ressortir leur drapeau confédéré d’origine pour le punaiser au-dessus de leur porte d’entrée après que j’avais refusé de l’accrocher au fronton de leur porche. Tout cela avait beau être pour le spectacle, j’avais posé des limites.

La veille du grand événement a eu lieu une parade, ce qui a donné l’occasion aux figurants de défiler à travers la ville dans leurs plus beaux atours devant les touristes – le lendemain, ils seraient tellement couverts de fumée et de boue que personne ne remarquerait les boutons en laiton luisant de leurs vestes militaires authentiques.

A suivi une vaste fête de rue, avec méchoui, photos souvenir et vente de gâteaux à l’ancienne. Amma avait passé des jours à faire de la pâtisserie. En dehors des comices du comté, c’était là le concours le plus important à ses yeux et une occasion de triompher sur ses ennemies. Ses gâteaux s’arrachaient toujours, ce qui rendait folles de rage Mmes Lincoln et Snow – la motivation première d’Amma pour participer à tout ce bazar. Elle n’aimait rien tant que vexer les dames des FRA et leur mettre le nez dans leurs viennoiseries de second ordre.

Bref, tous les ans, à l’aube de la deuxième semaine de février, la vie telle que nous la connaissions cessait d’exister, et nous nous retrouvions tous replongés dans la bataille de Honey Hill, en 1864. Il en est allé de même cette année-là, hormis une nouveauté. Cette année-là en effet, tandis que des camionnettes remorquaient des obusiers à double canon et des vans – tout figurant de la cavalerie qui se respectait possédait sa propre monture –, d’autres préparations se déroulaient ailleurs, destinées à une autre bataille.

Celle-là n’a pas commencé dans le deuxième édifice le plus ancien de la ville, mais dans sa demeure la plus ancestrale. Il y avait Howitzer et Howitzer. Cette bagarre-là se moquait des armes et des chevaux, ce qui ne lui ôtait en rien son caractère belliqueux. Pour être honnête, d’ailleurs, ça a été le seul vrai combat qui ait eu lieu à Gatlin.

Quant aux huit morts de Honey Hill, je n’ai pas vraiment de points de comparaison. Je ne m’inquiétais que d’une personne. Si je la perdais, je me perdrais également.

Alors, oubliez la bataille de Honey Hill. À mes yeux, cette journée a plutôt ressemblé au Jour J.

16 Lunes
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